L’affaire des marques Laguiole : la fin de l’usurpation ?
Mardi 5 mars 2019, la Cour d’Appel de Paris a mis fin à une longue bataille judiciaire. L’histoire avait commencé dans les années 1990, lorsqu’un entrepreneur du Val-de-Marne avait commencé à déposer et à racheter des marques « Laguiole » pour des produits très variés. L’entrepreneur accordait ensuite contre redevances des licences à des entreprises, souvent étrangères, qui pouvaient alors utiliser le nom « Laguiole » pour des produits fabriqués à l’étranger et sans lien avec le village aveyronnais. La commune de Laguiole avait poursuivi l’entrepreneur en justice pour reprendre le contrôle de son nom.
Un procès tumultueux autour des marques Laguiole
C’est en 2010 que Laguiole a saisi le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour faire annuler les marques déposées par M. Szajner. Le village dénonçait une spoliation de son nom, une pratique commerciale trompeuse et une atteinte à son image et à sa renommée. Le TGI avait cependant débouté la commune, et ce jugement avait été confirmé par la Cour d’Appel en 2014.
En 2016, la Cour de cassation avait pourtant cassé partiellement la décision de la Cour d’Appel. Les juges avaient en effet estimé que le village de Laguiole bénéficiait d’une véritable notoriété en France. Selon eux, le fait que la « commune de 1 300 habitants [soit] connue par 47 % d’un échantillon représentatif de la population française, fût-ce d’abord pour ses couteaux et son fromage » pouvait induire en erreur le consommateur moyen, en lui faisant croire que ces produits étaient originaires de ladite commune.
En 2017, dans une procédure parallèle conduite au niveau européen, la Forge de Laguiole (qui fabrique depuis 1987 les couteaux pliants originaux, au sein du village homonyme), avait également obtenu gain de cause face à M. Szajner. L’entreprise aveyronnaise avait ainsi pu faire annuler partiellement la marque européenne Laguiole déposée par l’entrepreneur. Mais la décision de la CJUE ne concernait que les articles de coutellerie.
L’annulation de 20 marques Laguiole
En suivant le raisonnement de la Cour de cassation, les juges de la Cour d’Appel de Paris ont finalement tranché en faveur du village. Selon eux, les méthodes de M. Szajner constituent « une stratégie visant à priver la commune et ses administrés de l’usage du nom Laguiole ». En effet, les nombreuses marques déposées par l’entrepreneur du Val-de-Marne lui permettaient d’attaquer en contrefaçon des commerces locaux qui utilisaient le nom de leur commune.
La Cour d’Appel a ainsi annulé vingt marques détenues par M. Szajner pour fraude. En outre, les juges ont condamné M. Szajner, son fils, et leur société Laguiole à verser 50 000 € au village au titre de son préjudice moral. Le maire s’est réjoui de cette décision, qui va permettre aux Laguiolais de « relocaliser de l’activité » dans le village.
Un bilan mitigé pour la commune
Pour l’avocate de M. Szajner, la décision de la Cour d’Appel « ne change rien ». En effet, l’entrepreneur conserve plusieurs marques déposées au niveau français et européen. Il peut toujours interdire à la commune et à ses commerçants d’utiliser le nom Laguiole pour des chaussures et des vêtements.
De plus, la commune regrette de n’avoir pas obtenu une interdiction générale d’utiliser le nom « Laguiole ». Aujourd’hui, il serait difficile d’en arriver à une telle situation. Les communes ont en effet la possibilité de mettre en place une surveillance de leur nom à l’INPI, leur permettant d’être informée dès qu’une marque homonyme est déposée. Cette surveillance permet de réagir dès le dépôt de la marque et de former opposition rapidement. Mais cette possibilité a été créée en 2014 par la loi Hamon, et n’était donc pas ouverte au village de Laguiole à l’époque des premiers dépôts.