Peut-on protéger une saveur ?
2018 a été l’année des marques non-traditionnelles. Entre l’affaire de la marque sonore déposée par Zippo (qui a obtenu une protection sur le « clic » du briquet) et l’affaire Play-Doh (l’odeur de la pâte à modeler enregistrée), l’actualité des marques a été bien remplie. Mais qu’en est-il des goûts ? Est-il possible de protéger une saveur ? Existe-t-il des marques gustatives ?
Les saveurs non protégées par le droit d’auteur
Le droit d’auteur est un droit de propriété intellectuelle accordé aux créateurs d’œuvres originales. Les titulaires du droit d’auteur peuvent défendre leurs créations, notamment en attaquant les imitateurs en contrefaçon. Il n’existe pas de liste exhaustive des œuvres protégées. Mais il protège en général les œuvres littéraires, artistiques, les œuvres d’architecture et même les créations publicitaires.
En revanche, les parfums et les saveurs ne bénéficient pas d’une protection par le droit d’auteur. En effet, la jurisprudence française refuse depuis longtemps de reconnaître un droit d’auteur sur les fragrances. La Cour de cassation juge ainsi que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur ». (Cass. Com., 10 déc. 2013, n°11-19872).
De manière similaire, la CJUE a récemment estimé que la saveur d’un produit alimentaire ne peut être qualifiée d’œuvre. L’affaire concernait des fromages à tartiner néerlandais. Dans son arrêt publié le 13 novembre 2018, la Cour a rejeté la demande de contrefaçon. Elle a justifié sa décision au motif suivant : « Contrairement à un livre ou à un film, une saveur repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables. Celles-ci dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné, tels que son âge, ses préférences alimentaires et ses habitudes de consommation, ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté. »
Obtenir une marque pour protéger une saveur ?
A cette question, l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) répond « non ». En effet, pour l’INPI, les signes gustatifs doivent, « comme tout autres formes de marques, être représentés graphiquement afin que les autres personnes puissent en déterminer l’objet et l’étendue. Cette condition est techniquement très difficile à remplir et ne permet donc pas qu’une odeur ou un goût soient protégeables à ce jour. »
On a pourtant assisté à plusieurs tentatives infructueuses d’enregistrer des marques gustatives. L’OHMI (ex-EUIPO) avait ainsi rejeté une demande de marque communautaire présentée par un laboratoire pharmaceutique. Celui-ci voulait enregistrer une marque au goût de « fraises artificielles ». L’OHMI avait rejeté la demande au motif que « n’importe quel fabricant […] a le droit d’ajouter à ses produits une saveur de fraise artificielle afin de masquer le goût désagréable qu’ils pourraient avoir autrement ou simplement dans le but de leur donner un goût plus agréable. » (OHMI, affaire R-120/2001-2).
L’USPTO (Office américain des marques et des brevets) a également rejeté plusieurs demandes de marques gustatives : l’arôme de menthe poivrée pour des cigarettes, la saveur d’orange pour des antidépresseurs…
Toutefois, les Etats-Unis ne ferment pas complètement la porte à l’enregistrement d’une saveur. Il faudrait cependant que celle-ci bénéficie d’un caractère distinctif acquis (comme dans l’affaire de l’odeur Play-Doh).
A bientôt pour un prochain article sur les marques non traditionnelles!