Une affaire inédite a récemment opposé la société Hermès à un artiste américain, Mason Rothschild. Celui-ci avait commercialisé des NFT représentant des sacs de la célèbre marque de luxe.
Afin de rendre sa décision, la justice américaine a dû se prononcer sur le régime applicable aux NFT.
L’incertitude du régime juridique applicable aux NFT
A l’ère du numérique, les innovations suscitant des interrogations sur l’application du droit de la propriété intellectuelle se multiplient : le Web 2.0, puis l’informatique en nuage, la blockchain et le Web 3.0 avec ses problématiques liées au métavers et aux NFT.
Les NFT, nouveaux objets de propriété intellectuelle
NFT correspond à l’acronyme de « non fungible tokens » ou jetons non-fongibles en français, c’est-à-dire non interchangeables. Le site coinacademy.fr tente de clarifier cette définition en expliquant qu’un tel jeton est « stocké sur une blockchain pour devenir le certificat d’authenticité d’un fichier numérique qui y est rattaché (le plus souvent de l’art). Ce fichier numérique, lui, est fongible : une image, une vidéo ou un son peuvent être copiés et dupliqués, mais pas le token cryptographique leur servant de certificat ».
Les NFT sont donc uniques, contrairement aux cryptomonnaies, qui sont, elles, fongibles. Ils sont également authentifiés grâce à la technologie de la blockchain.
Le terme s’est répandu à partir de 2017 avec les premières collections d’art utilisant cette technologie. D’ailleurs, l’on retrouve essentiellement les NFT dans des domaines artistiques (authentification d’images, de musiques ou de vidéos). Les éléments auxquels sont rattachés ces jetons numériques sont donc en principe soumis au droit de la propriété intellectuelle. Comment combiner ce régime juridique avec les nouvelles formes d’expression ?
L’affaire « MetaBirkin » : lorsque les NFT reprennent des marques déposées
Mason Rothschild, artiste californien ayant fondé un studio de création, commence par créer en 2021 un NFT baptisé « Baby Birkin » : une image animée représentant un sac Hermès Birkin et un fœtus à l’intérieur, qu’il a vendu à 23 500 dollars (en collaboration avec l’artiste Eric Ramirez). Fort de ce succès, il créé quelques mois plus tard une nouvelle série de NFT représentant des sacs à main en fourrure inspirés également du célèbre modèle Birkin créé par Hermès en 1984. Chaque modèle est décliné en 100 exemplaires et vendu sous la forme de NFT. Il nomme ce projet « MetaBirkin ». Or, à aucun moment l’artiste n’a demandé une autorisation à Hermès pour utiliser l’image et le nom de ce sac.
Hermès estime que la vente de ces images aurait rapporté 1,1 million de dollars à Mason Rothschild.
La marque de luxe a donc réagi en saisissant la justice américaine dès janvier 2022 pour atteinte à son image de marque et contrefaçon (en raison de l’utilisation sans autorisation et dans un but commercial de sa propriété intellectuelle). Hermès est en effet titulaire de droits sur le nom « Birkin », et en particulier de plusieurs marques enregistrées.
Les juges américains ont alors été amenés pour la première fois à se prononcer sur d’éventuelles atteintes à des droits de propriété intellectuelle dans le domaine des NFT. Il convient de noter que de façon générale, les artistes ne sont en effet pas à l’abri d’être poursuivis en contrefaçon (comme nous l’avions d’ailleurs relaté dans notre article sur Jeff Koons).
L’application de la règlementation existante dans le dossier « MetaBirkin »
L’affaire « MetaBirkin » illustre le débat existant sur l’application ou non des mêmes règles de propriété intellectuelle pour des biens non fongibles. Même s’il n’est pas possible à ce stade d’anticiper toutes les questions que soulèvent les NFT, la règlementation existante apporte déjà certaines réponses, que la justice américaine a décidé d’appliquer dans cette affaire.
La défense du créateur des NFT
« Je ne crée ni ne vends des faux sacs Birkin. J’ai fait des œuvres d’art qui dépeignent des sacs Birkin imaginaires couverts de fourrure » a indiqué l’artiste.
Ses avocats ont également fait valoir que les créations de Mason Rothschild tombaient sous le coup du 1er amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui protège la liberté d’expression. La défense fait un parallèle avec l’artiste Andy Warhol, qui avait pu vendre des œuvres d’art représentant des canettes de soupe Campbell (intégrant ainsi une marque déposée dans ses œuvres). En outre, Mason Rothschild a insisté sur l’aspect artistique et engagé de ses créations, en affirmant qu’il voulait présenter une vision plus durable de la mode à travers le projet MetaBirkin. Selon lui, le fait de vendre de l’art sous la forme de NFT ne change pas le fait qu’il s’agit d’une démarche artistique.
Un verdict en faveur des titulaires de marques
Mercredi 8 février 2023, le jury du tribunal fédéral de Manhattan à New York a reconnu Mason Rothschild coupable de contrefaçon, dilution de marque et cybersquatting. Le tribunal a considéré que les NFT n’entraient pas dans le champ d’application du 1er amendement, et a appliqué le droit du « monde réel » aux NFT : pour utiliser une marque sur un objet numérique, il faut avoir obtenu l’autorisation préalable du titulaire de la marque. En outre, l’utilisation détournée des marques Birkin et Hermès (sur Instagram, Twitter, à titre de nom de domaine…) était de nature à occasionner de la confusion avec les activités de la maison parisienne. Le Californien de 28 ans a donc été condamné à verser 133 000 dollars de dommages et intérêts à la société Hermès.
En juin 2023, Hermès a également obtenu que les ventes des MetaBirkin soient bloquées.
Cette affaire constitue un précédent important, au cœur du débat sur le champ d’application du droit de la propriété intellectuelle dans le monde virtuel, puisqu’un usage dans le métavers peut constituer une contrefaçon dans le monde réel. D’autres affaires similaires sont en cours, notamment celle opposant Nike à la plateforme StockX commercialisant des NFT de ses baskets cultes.
Soyez donc prudent avant d’utiliser une marque, et ce quel que soit le support (physique ou virtuel) ! Notre cabinet est à votre disposition pour répondre à vos questions.