Dépôt de marque : il ne faut pas abuser !
Le droit des marques n’aime pas les dépôts nés d’une pratique abusive. L’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) interdit en effet les dépôts de marque effectués dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité. Cet article dispose : « si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. »
Un dépôt fait de manière abusive peut avoir des conséquences lourdes. Plusieurs titulaires de marques frauduleuses ont ainsi été poursuivis en justice, et condamnés à payer des dommages et intérêts au véritable titulaire de la marque. Retour sur quelques affaires jugées abusives.
Les tribunaux font une distinction entre deux pratiques abusives : les marques qui constituent des entraves à la libre-concurrence, et celles qui consistent à usurper le nom d’un tiers.
1er type de dépôt abusif : la marque-entrave ou marque-octroi
Dans les affaires de marque-entrave, le déposant va agir afin d’acquérir un monopole sur un signe pour en monnayer l’usage.
Par exemple, le dépôt de la marque « Stade de France » pour des vêtements est frauduleux. Le tribunal a en effet retenu la mauvaise foi du déposant(TGI Paris, 13/10/1998). Celui-ci avait déposé la marque le lendemain du jour où le nom du complexe sportif était rendu public.
De même, les dépôts « Paris 2012 », « Paris 2016 » et « Paris 2024 » sont frauduleux. Peu importe que la ville de Paris ait été ou non retenue pour les Jeux Olympiques à ces dates. En effet, il est habituel d’utiliser le nom de la ville et l’année d’organisation pour communiquer sur cet événement. S’approprier ces marques avant toute validation officielle constitue un acte abusif. (TGI Paris, 14/03/2007).
Certains dépôts poursuivent l’unique but de faire payer des droits d’utilisation sur la marque à des tiers. C’est le cas lorsque le déposant ne souhaite pas utiliser sa marque lui-même, car il exerce une activité totalement différente. Ainsi, une marque « Halloween » avait été déposée pour des sucreries. Mais le déposant n’exerçait pas du tout dans ce secteur d’activité. Les juges ont retenu que ce dépôt visait à obliger les professionnels à signer des licences pour utiliser ce nom. La Cour a donc annulé ce dépôt abusif (Cass. Com., 21/09/2004).
2nd type de dépôt frauduleux : l’usurpation
Ce type de dépôt abusif se caractérise par la mauvaise foi du déposant. Celui-ci sait que ce dépôt de marque va nuire aux intérêts d’un tiers. C’est le cas de la société de conseil qui dispose d’informations confidentielles sur une entreprise et qui va s’approprier un nom que l’entreprise convoite.
Par exemple, le dépôt de la marque « Corona Extra » par une société de distribution de boissons est abusif. En effet, le seul but du déposant était de devancer l’arrivée de la bière mexicaine sur le marché français (CA Bordeaux, 28/02/1994).
Plus récemment, l’association « Société Protectrice des Animaux » (la SPA) a obtenu l’annulation de la marque SPA DE FRANCE. L’association concurrente « Défense de l’Animal » avait déposé la marque en 1989. Les juges ont considéré que compte tenu de l’ancienneté de la SPA (fondée en 1845) et de sa notoriété, le dépôt avait été réalisé de manière frauduleuse (CA Paris, 30/03/2018). Pour la Cour, ce dépôt visait avant tout à priver la SPA de l’usage de ce nom nécessaire à son activité.
Ces dépôts abusifs se retrouvent également lorsque deux partenaires travaillent ensemble sur un projet. L’un des deux choisit de déposer en son nom propre (sans en informer l’autre). Cette situation est assez classique. Ce fut le cas notamment pour la marque « Vichy Douceur », déposée par un tiers co-organisateur de l’événement homonyme. (Cass. Com., 02/06/1992).
Faire preuve de prudence pour éviter le dépôt abusif
Dans ce type d’affaires et pour éviter une action en justice coûteuse, il est préférable de discuter de cette question en amont, avec tous les partenaires. Cette discussion doit notamment désigner le titulaire de la marque mais aussi le partage éventuel des frais. Pour le titulaire, il est possible de retenir celui qui avait trouvé le nom à l’origine mais on peut également choisir de déposer la marque en co-titularité (en indiquant alors plusieurs déposants).
Pour éviter de vous rendre coupable d’un dépôt frauduleux, il vaut donc mieux opter pour la plus grande transparence.
Si à l’inverse, vous estimez être lésés par un dépôt de marque réalisé par un tiers (ancien associé, concurrent…), n’hésitez pas à nous contacter. Nos experts sont là pour vous conseiller.